Nous nous sommes rendus, à trois, en Belgique, pour y suivre une partie du «Dixième festival national du film belge», manifesitation qui a lieu tous les deux ans et vient de se dérouler à Bruxelles du 10 au 19 octobre 1974. Parallèlement au festival, un «Premier marché du film belge» permit de revoir certains films plus anciens. Il y eut, au festival, 120 heures de projections, l'ensemble de la production de deux ans dans tous les secteurs, y compris une partie des réalisations de télévisions pour leurs propres besoins internes. Nous avons pu suivre un peu plus du tiers des projections — il y avait parfois, au même moment, trois programmes, toujours deux au moins.
Trois préoccupations nous ont guidés, qui se retrouvent dans la table des matières de ce numéro 4 de CINEMA:
— par une analyse, un entretien et une filmographie, donner à André Delvaux la place qui lui revient, la première en Belgique, une des premières dans le cinéma francophone, une importante déjà dans le nouveau cinéma mondial;
— par des rencontres avec diverses personnalités du cinéma belge, obtenir une information qui permette de comparer les cinémas de Belgique et de Suisse, de décrire les grandes lignes du cinéma belge, en particulier au niveau des interventions de l'Etat;
— par des visionnements et des entretiens, en savoir le plus possible sur le cinéma, les cinéastes et les finis pour apprécier la valeur «culturelle» d'un cinéma doublement national, francophone et flamand.
Comparaisons «culturelles»
C'est par commodité que nous intitulons cette partie «comparaisons culturelles», et la suivante «comparaisons économiques». Il faut reconnaître que la séparation est difficile à faire entre ces deux ordres de considérations, puisque «par ailleurs, le oinéma est une industrie».
L'impact national du cinéma belge en Belgique semble un peu meilleur que celui du cinéma suisse en Suisse, même si dans notre pays les goûts du public évoluent enfin avec l'éveil d'une certaine curiosité à l'égard de notre cinéma, sans attendre la consécration de l'étranger (les succès «genevois» dans les grands centres de Suisse alémanique) ou en en profitant (rôle des sorties à Paris pour la Suisse romande). Il est possible que cette «avance» belge soit surtout explicable pour des raisons financières (voir texte sur L'AIDE DE L'ETAT EN BELGIQUE).
Sur le plan international, depuis trois ou quatre ans, les succès suisses sont nettement supérieurs aux succès belges. Quatre réalisateurs suisses sont maintenant connus presque dans le monde entier, Claude Goretta, Daniel Schmid, Michel Soutter et Alain Tanner, alors que seuls deux Belges en bénéficient, André Delvaux et Harry Kümel. En Suisse, les tempéraments individuels continuent de s'affirmer, malgré quelques ressemblances. En Belgique, le «mythe» du 35/couleurs et le rêve d'une industrie autonome, le recours flamand à des œuvres littéraires dans des «films à costumes», les tendances francophones vers un certain réalisme social, provoquent bon nombre de ressemblances qui aseptisent les individualités.
Les succès suisses font rêver certains belges. Pour eux, le nombre de talents jouerait un rôle assez important. Mais un cinéma, s'il est connu par les meilleurs, vit d'un ensemble de créations. L'explication du talent n'est probablement pas la bonne. Même si l'enthousiasme ne transparait pas souvent dans nos derniers textes sur les cinémas flamand, francophone et expérimental, les talents existent aussi en Belgique. Le système dans lequel ils doivent s'exprimer ne leur est pas toujours favorable. Et puis, nous connaissons en Suisse depuis peu une assez imposante suite de véritables miracles: beaucoup de films sont réussis.
Comparaisons «économiques»
Les films présentés au «Dixième festival national du film belge» représentent donc une durée annuelle de soixante heures environ. Il faut y retrancher une dizaine d'heures de films scientifiques ou de relations publiques pour pouvoir comparer ces cinquante heures annuelles à la production suisse qui est montrée chaque année lors des «Journées de Soleure» en janvier/février. Quantitativement, les productions belges et suisses sont à peu près équivalentes.
Sur différents points, nous avons pu faire des comparaisons relativement précises. Elles apparaissent dans un «tableau comparatif» qui nécessite quelques explications (p. 11):
— à gauche, nous indiquons le secteur d'aide.
— dans les deux colonnes suivantes, nous fournissons quelques détails sur ces aides, en Belgique et en Suisse. Nous donnerons de plus amples explications sur les aides de l'Etat en Belgique dans un autre texte. Dans la partie «Autres aides», l'intervention économique belge est comparée à l'intervention culturelle suisse des primes de qualité et d'étude.
— dans les deux dernières colonnes, nous indiquons les aides belges traduites en francs suisses (sur la base de 10 francs belges, pour environ 80 cts suisses). Ce sont des ordres de grandeur et un comptable chatouilleux pourrait nous adresser divers reproches. Nous sommes toutefois assez sûrs de ces ordres de grandeur. Pour établir le rapport des aides et du nombre d'habitants, nous avons pris dix millions d'habitants en Belgique et six en Suisse.
Nous laissons au lecteur le soin de tirer le parti le plus intéressant de ce tableau, à savoir les rapports entre l'aide belge par habitant et l'aide suisse par habitant dans les différents secteurs.
Enfin, un tel tableau est forcément simplificateur. D ne fait pas apparaître la multiplicité des interventions belges, ministères de la culture française, de la culture flamande, des affaires économiques, des affaires étrangères et de l'éducation nationale française et flamande.
Dans d'autres secteurs, les comparaisons n'ont pas été faites ou n'ont pas pu l'être. La Suisse dépense 150 mille francs par an pour les deux festivals internationaux de Locarno et de Nyon, qui jouent, il est vrai, un petit rôle dans la promotion du cinéma suisse. La Belgique n'organise, et encore, tous les quatre ans seulement, qu'un festival très spécialisé, celui de Knokke-le-Zoute, avec des subventions extraordinaires.
Quand la Confédération accorde sous forme de bourses une centaine de milliers de francs à des jeunes qui veulent acquérir une formation cinématographique, la Belgique dispose de plusieurs écoles. Nous n'avons pas pu obtenir le coût de l'INSAS et de son équivalent flamand, la RITCS — mauvaise volonté d'un fonctionnaire sollicité au travers du service de presse du festival, ou silence volontaire? Nous n'en savons rien.
En résumé, l'impact sur le plan national est meilleur en Belgique qu'en Suisse, alors que la Suisse s'en tire mieux sur le plan international, avec des talents de part et d'autre, une production annuelle quantitativement comparable, mais avec une aide de l'Etat quatre fois plus forte en Belgique qu'en Suisse.
L'aide de l'Etat en Suisse reste nettement insuffisante si ele s'avère, ces dernières années, relativement efficace. Connaîtrons-nous longtemps encore cette suite de miracles, des films généralement réussis qui trouvent de plus en plus souvent le chemin du public? Nous sommes, en Suisse, presque condamnés au succès à chaque coup. C'est anormal. A plus ou moins long terme, si rien ne change, notre cinéma pourrait bien être condamné, non plus au succès permanent, mais tout simplement à mort.
Note: ce texte reflète entretiens et visions d'une part, conversations et réflexions à trois d'autre part. Il a été rédigé par Freddy Landry s'il paraît sous la signature d'une équipe.