JEAN-PIERRE BROSSARD

EXODE RURALE ET SOCIÉTÉ NOUVELLE

ESSAY

Le changement de société s'est accompagné d'une transformation radicale de la structure du pays. Si, dans l'immédiat après-guerre, la majorité de la population était encore occupée dans le secteur agricole, contre un peu plus de cent mille personnes dans l'industrie, très rapidement la situation évolue et l'on évalue à plus d'un million le nombre des travailleurs ayant quitté l'économie rurale de 1948 à 1954. Cette tendance va encore en s'amplifiant jusqu'en 1975 et le rapport production industrielle/production agricole, de 21/78 en 1939, a passé à 66/33 en 1960 et 82/18 aujourd'hui.

Albert Cervoni a défini remarquablement l'un des éléments d'identité que l'on retrouve aussi bien dans La Corne de chèvre de M. Andonov et L'Iconostase de C. Christov et T. Dinov. «Une rusticité admirablement restituée des visages et des gestes, des êtres et des choses, de la nature, du village en pierres sèches de La Corne de chèvre au bois que travaille dans ses nervures le sculpteur de L'Iconostase.»

Ainsi donc cet élément de rusticité lié aux origines paysannes de la majorité des Bulgares est-il une composante importante de toute la série de films qui traite des conflits liés d'une part à la transformation de la campagne, puis à l'exode vers les villes.

Dans Le dernier été de Christo Christov (1972), on retrouve la recherche plastique de son premier film Iconostase, qui va loin dans les détails des traditions populaires. La disparition d'un village par suite de la construction d'un barrage provoque l'exode de ses habitants vers la ville. Seul un irréductible, Efreïtorov, ne veut pas du progrès et continue à vivre avec son vieux père et son fils. La destruction du village, cellule de base du monde paysan est signifiée ici d'une manière abrupte; on ne pourra emmener en ville aucun des symboles du passé puisque le village a été submergé.

A ce moment du choix de transformation d'existence, de mœurs, de cadre de vie, Efréïtorov a le vertige et voit défiler, dans un kalédioscope, les images du passé et se souvient de sa promesse à sa défunte femme de donner une éducation à son fils. Le père est un nostalgique et rêve des belles fêtes paysannes, de jolies filles endimanchées, mais il sait qu'on n'arrête pas l'évolution. Même le vélo offert par son beau-frère, parrain du gamin, est une agression pour lui terrien resté proche de la nature qu'il a toujours maîtrisée comme il dompte ses chevaux et son chien. Et ce vélo, symbole du progrès, sera utilisé par son fils pour fuir l'isolement, partir à la ville, s'instruire...

Cette nostalgie d'un contact perdu avec la nature se retrouve également d'une façon intense dans Le Paysan à vélo de Ludmil Kirkov (1974). Iordan s'en est allé à la ville pour travailler. C'est un personnage particulièrement typique et significatif sur le plan social.

En ville, il a trouvé un travail qui lui plaît, lui apportant même une certaine promotion à laquelle il n'attache pas outre mesure d'importance; mais au niveau des contacts avec la société, la mutation en cours n'a encore rien apporté de nouveau.

Sa situation familiale a même pâti du progrès; sa femme se lève tôt pour conduire son fils à l'école, puis va à l'usine. Le soir, ils mangent ensemble, puis regardent la télévision. Lui a gardé son petit ballon d'oxygène. Chaque samedi, il se rend à vélo dans son village, au bord de la rivière et retrouve sa vieille maison, son verger, son jardin. Il loue une chambre à la petite pharmacienne fraîchement arrivée et cette jeune fille lui fait découvrir son monde, ou plutôt sa façon de voir le monde, sa façon d'aimer. Et notre bon paysan s'en trouve tout désorienté, trouvant sous cette spontanéité une nouvelle façon certainement plus active d'envisager l'existence. Mais l'exemple de son voisin et ami de longue date lui montre une autre manière de penser plus égoïste, plus individualiste...

Iordan est donc devant le choix d'envisager deux voies fort différentes à son avenir. Le ton du film est toujours proche d'un naturalisme sensuel parfaitement senti. Par petites touches, une évolution se marque, sans rupture, exposant clairement faits et situations.

Les films bulgares abordant des faits d'aujourd'hui, parlant de la vie, de ses problèmes, de ses difficultés, ont en commun le point déterminant d'observer ces faits souvent avec poésie et humour, et de l'intérieur.

La migration campagne/ville s'est accompagnée d'une transformation radicale du type de société; ainsi souvent cet antagonisme s'est prolongé dans une confrontation ancien/nouveau.

Si le mode de représentation des conflits et des personnages s'est éloigné de plus en plus des schémas manichéens de l'époque stalinienne, les obligations de front social et moral du cinéma en tant que véhicule idéologique subsistent. Ainsi, comme le déclarait le cinéaste Emile Petrov: «Aujourd'hui encore reste valide le devoir de notre art, non seulement d'expliquer, non seulement de présenter, mais aussi d'aider au changement de la vie, en exerçant un effet sur la formation intellectuelle des jeunes.» Cette directive peut être interprétée de façon fort différente, preuve en est la diversité des manières d'aborder la thématique campagne/ville.

Constituant une sorte de suite ou plutôt de prolongement au Dernier Eté, Arbres sans racines de C. Christov (1974) extrapole la dynamique engendrée par le processus migratoire, mais aussi les changements sociaux et moraux qu'il implique.

Le vieux, au contraire du nostalgique du Dernier été, les partisans puis fit bénéficier la ferme coopérative de ses connaissances. La mort de sa femme provoque une rupture et la nécessité d'aller vivre en ville avec son fils.

Le vieux au contraire du nostalgique du Dernier été, tente de s'intégrer à la vie nouvelle; lui, qui avait déjà fait le passage du petit arpent individuel à la ferme coopérative, cherche sa place dans un univers trépidant. Même si certains éléments échappent à sa compréhension, il aura fait l'effort pour comprendre le monde.

Dépaysé, privé de ses racines, il souffre mais n'en continue pas moins de lutter.

On retrouve ici le style de Christo Christov, utilisant aussi bien le réalisme fantastique que la métaphore poétique pour créer un univers à la fois personnel et tout imprégné d'éléments de la culture paysanne bulgare profondément populaire.

Le développement planifié du pays a apporté un certain bien-être, laissant à la conscience individuelle le soin de trouver sa place dans ce processus. Si souvent la rupture d'avec le passé a été brutale {provoquée par la construction d'un barrage inondant le village, dans le Dernier été, la mort de la femme du vieux Gation dans Arbres sans racines) l'adaptation à la vie citadine ne se fait pas sans heurts. L'anonymat de la ville incite souvent les migrants d'un même village à habiter la même zone ou le même immeuble (Le Paysan à vélo, Temps éternels). Manquant de sécurité dans ce cadre nouveau, le paysan à la ville va jusqu'à recréer son univers campagnard quand il a les possibilités financières de se faire construire une petite maison (dans Zone de villas d'Edouard Zakhariev) ou encore cultive un petit coin de jardin où il élève des animaux au grand dam du service de l'hygiène (Le Paysan à vélo).

Ainsi ces nouveaux citadins, n'ayant d'expérience de socialisation que celle de leur village ou de leur travail, se trouvent-ils soit désorientés mais socialement récupérables, comme Iordan dans Le Paysan à vélo, soit à nouveau sous l'emprise d'un conservatisme et d'un égoïsme petit bourgeois comme dans Zone de villas.

Avec Temps éternels d'Assen Chopov, on est à vif sur cet amour de la terre, attachement à son village dans lequel on a combattu fermement pour faire triompher ses idées. Si les vieux militants, derniers habitants du village, ont été à l'époque les promoteurs de pensées nouvelles, Us ont de la peine à faire le saut et à saisir l'envergure de la condition actuelle. En hommes de notre temps, Us ne cherchent pas leurs intérêts personnels mais tentent avec acharnement de comprendre la réalité d'aujourd'hui.

Chopov a situé son action dans un village typique et choisit des personnages parfaitement relevant de la situation décrite. Le mélange d'acteurs professionnels et non-professionnels ajoute encore au climat d'authenticité. La scénographie et le décor sont particulièrement adéquats, réalisant une symbiose documentaire et poétique tout-à-la fois.

Parler de la vie contemporaine est une des premières exigences du public bulgare. Les cinéastes-citoyens sont sensibles au changement, aux transformations de leur pays, tel un sismographe, ils enregistrent intuitivement et deviennent en quelque sorte la conscience populaire.

Et les signes que nous lisons dans les films bulgare par lent de façon plus générale, atteignant une certaine universalité, prouvant qu'à Sofia aussi, on cherche de nouvelles formes.

LANDFLUCHT UND NEUE GESELLSCHAFT

In den Jahren nach dem Zweiten Weltkrieg ist in Bulgarien die Industrialisierung sehr rasch vorangetrieben worden. Allein in den Jahren 1948 bis 1954 soll über eine Million Menschen als Folge davon vom Land in die Stadt gezogen sein. Jean-Pierre Brossard geht in seinem Artikel dem Themenkomplex Stadt/Land nach, der im bulgarischen Film eine grosse Rolle spielt. Brutaler Bruch mit der ländlichen Vergangenheit, Schwierigkeiten der Eingliederung in der Stadt, Sehnsucht zurück nach dem Land, das sind Handlungselemente, die in so verschiedenen Filmen wie Der letzte Sommer und Bäume ohne Wurzeln von Christo Christow, Der Bauer auf dem Fahrrad von Ludmil Kirkow und Ewige Zeiten von Schopow immer wieder auftauchen. (meg)

Jean-pierre Brossard
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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