JEAN-PIERRE BROSSARD

BRÈVE HISTOIRE D'UN CINÉMA NEUF

ESSAY

Les véritables débuts du cinéma bulgare ne commencent qu'à partir de 1948, date de la nationalisation de cette industrie; et nationalisation est d'ailleurs un bien grand mot, car il n'existait presque pas d'infrastructure et la première tâche du gouvernement fut plutôt de créer une industrie, de construire des studios et des laboratoires et surtout de former des cinéastes, acteurs, scénaristes, techniciens.

Depuis les premières bandes d'actualités tournées à la fin de la première guerre mondiale jusqu'à 1944, une cinquantaine de films sont réalisés par des entreprises toujours éphémères, portant des noms tels que Rila-Film, Koubrat-Film, Rex, Guéndov-Film, et autres National-Studios. Très souvent, le réalisateur était tout à la fois bailleur de fonds et pour assurer, du moins en Bulgarie, un relatif succès à sa production, il adaptait une pièce ou un roman célèbres, transposait un épisode glorieux de la légende ou de l'histoire bulgare. De ce cinéma provincial, et le plus souvent très amateur, il ne reste que quelques vagues souvenirs à la Cinémathèque.

Dès 1948, il est mis l'accent sur le cinéma comme moyen de divulgation de la culture et le nombre de salles, qui était de 155 en 1939 croît rapidement pour passer à 1900, (en 1963) et atteindre le chiffre de 3524 en 1975, dont 403 dans les villes.

Dans une première période, on fait large place aux films historiques parlant de l'occupation turque; ainsi le premier film digne d'être signalé est Kaline l'aigle de Boris Borozanov (1950).

Par contre, Alerte (1951) qui marque les débuts de Zacharie Jandov traite un épisode de l'histoire contemporaine. Il inaugure une longue série qui ira des luttes sociales du début du siècle, en passant par le coup d'état fasciste de 1923, jusqu'à la prise du pouvoir par les forces progressistes en 1944.

Mais cette première période de création est marquée par la rigueur idéologique du temps et porte les signes du culte de la personnalité et de ses dogmes dans le domaine de l'art. Plusieurs films étapes de cette période sont des adaptations d'oeuvres littéraires-clef de la culture slave, comme Sous le joug (1952) de Dako Dakovski, tiré du roman d'Ivan Vazov qui contribua avec son talent descriptif à tracer un portrait vivant de la réalité bulgare de la fin du XIXe siècle.

Cette veine d'adaptation se poursuivra d'ailleurs jusqu'à nos jours et citons parmi ce genre: Tabac (1962) de Nicolas Korabov, tiré du roman de Dimitre Dimov; Le Voleur de pêches (1964) que Veulo Radev a tiré de l'œuvre de Emilian Stanev; Midi torride (1966) de Zako Heskia, adaptation d'une œuvre du romancier Yordan Raditchkov; ou encore Iconostase (1968) de Christo Christov et Todor Dinov, merveilleuse transposition du roman Le Candélabre de fer de Dimitre Talev.

Plusieurs écrivains se sont mis en outre à écrire pour le cinéma ou plutôt le modernisme du style d'écriture de leurs nouvelles ou romans ont immédiatement attiré l'attention des réalisateurs; à ce propos, nous pensons surtout à: Bogomil Raïnov, Nicolaï Khaïtov, Ghéorghi Michev.

L'importance du travail entre scénariste et réalisateur a été souligné par l'un d'entre eux, Angel Wagenstein dont la collaboration à de très nombreux films a été un élément déterminant; de Notre Terre (1953) de Anton Marinovitch et Stéphane Sartchadjiev, en passant par Etoiles (1959) de Konrad Wolf, jusqu'à A deux sous le ciel (1962) de Borislav Charaliev.

L'influence du politique sur le culturel

Le large débat qui suivit le XXe Congrès du Parti communiste de l'URSS dans tout le monde socialiste et qui mit en marche le processus de déstalinisation eut des répercussions importantes dans la voisine Bulgarie.

Les intellectuels bulgares lorgnaient avec envie du côté de Varsovie où la libéralisation, dans le domaine culturel du moins, permettait certaines expériences. Dans un débat violent à l'Union des Ecrivains bulgares, en décembre 1956, on reprocha généralement aux «modernistes», adeptes d'une conception large des concepts du réalisme socialiste, d'être des réactionnaires, au contraire des traditionnalistes qui, eux, désiraient conserver la ligne progressiste

Sur le plan du cinéma, critiques, historiens, scénaristes et réalisateurs n'ont qu'un seul désir, sortir enfin de la période sclérosée.

On discerne déjà quelques signes de l'esprit novateur tant désiré dans La Petite Ile (1958) de Valéry Pétrov (scénariste) et Ranguel Valtchanov (réalisateur) dont le sujet proche de celui de La Villeggiatura de Marco Leto, n'en sombrait pas moins très souvent dans un schématisme pesant. Le film qui marquera la rupture d'avec le passé est dû au même duo et s'intitule Le Soleil et l'Ombre (1962).

Comme dans les autres pays socialistes, la remise en cause et le gommage de l'esthétique dogmatique, engendrée par la période du culte de la personnalité, ont passé par la redécouverte d'une forme plus intimiste et d'une approche du vécu. Œuvre marquante de cette veine: Chevalier sans armure (1966) de Borislav Charaliev. Sur un scénario de Valéry Petrov, Charaliev avec beaucoup de délicatesse nous livre la découverte de la vie quotidienne à Sofia à travers les yeux d'un enfant. Ce style plus intérieur, analysant les rapports contemporains, sera l'un des traits marquants de la nouvelle période du cinéma bulgare.

En 1967, deux débutants, Gricha Ostrovski et Todor Stoïanov, tournent Ecart, une sorte de bilan de deux personnages ayant tout sacrifié au devoir social. Cette analyse donne un regard très critique sur cette période, portant en elle le secret espoir qu'une telle situation ne se reproduise plus jamais.

Il faudra attendre 1968 pour que la Bulgarie nous donne des œuvres importantes La Chambre en blanc de Methodi Andonov et Iconostase de Christo Christov et Todor Dinov.

Décision politique pour le bien culturel

On l'aura remarqué, le climat politique joue un rôle prépondérant sur l'évolution artistique et ceci non seulement dans les pays socialistes. Ainsi les décisions prises, en 1968, d'augmenter la production, octroient les budgets nécessaires (entre 200 000 et 300 000 leva par film, sauf pour les superproductions) pour un volume passant de 10/11 films à 20 films par année.

Le système des collectifs de créations n'est pas une originalité de la cinématographie bulgare, mais un moyen qui n'avait pas porté ses fruits avant cette date car la production était trop modeste. Au nombre de trois à l'époque, les collectifs de créations possèdent actuellement leur propre plan de création, avec un directeur artistique, une rédaction des scénarios, un collège des réalisateurs, un conseil artistique (organe consultatif, composé de représentants du domaine du cinéma, des arts plastiques, de la littérature, de la science, etc.) un groupe d'opérateurs et de techniciens, ainsi que des responsables financiers et administratifs.

Les collectifs n'ont pas un profil clairement défini et au contraire de leurs homologues polonais ou hongrois, les cinéastes bulgares ont la possibilité de changer facilement de collectif.

Actuellement, le groupe Hemus a pour directrice la scénariste et écrivain Svoboda Batchvarova, le groupe Mladost (Jeunesse) le réalisateur Ludmil Staïkov, le groupe Srédetz le réalisateur Guéorgui Stoïanov. Il a été créé en 1976 un quatrième groupe nommé Savremennic. L'option de ce collectif est parfaitement définie par son nom, il ne traitera que des sujets contemporains.

Les rédacteurs des collectifs lisent attentivement la production littéraire aussi bien des éditions que les nouvelles publiées dans les revues littéraires, ainsi que les créations sur le plan théâtral. Le scénario peut, soit être sollicité (sur un thème donné comme la résistance antifasciste, ou l'anniversaire de la victoire du pouvoir populaire) ou simplement proposé. Par an, un collectif possède les moyens financiers pour environ sept films, alors qu'il reçoit une cinquantaine de scénarios desquels une vingtaine sont retenus et sortis pour la réalisation en fonction de l'intérêt ou de l'actualité d'un thème.

Ainsi la formule a permis de surmonter les difficultés du passé et d'aborder certains problèmes délicats de toucher des thèmes avec une plus grande richesse et d'éclairer les multiples aspects et parfois difficultés de la société actuelle.

Cette évolution a permis non seulement l'éclosion de véritables talents, mais a encore amené la cinématographie bulgare à se faire connaître de par le monde.

Si parler du monde et des affaires du monde permet de faire évoluer la société, le cinéaste bulgare désirant communiquer avec un public en a largement la possibilité. Le Centre des recherches sociologiques auprès de la Cinématographie a procédé à une enquête pour connaître la popularité des films sortis après 1970. On découvre des statistiques proprement stupéfiantes:

5 films ont obtenu un succès exceptionnel (entre 1,5 et 3 millions de spectateurs), dont La Corne de chèvre, Les Anges noirs, et Yvan Kondarev;

9 films ont obtenu un très grand succès (entre 1 et 1,5 million d'entrées) dont Affection et Enclume ou marteau.

Un film qui a obtenu entre 300 et 500 000 entrées est considéré comme «insuccès». Ainsi le cinéma peut-il être qualifié d'art populaire par excellence en Bulgarie avec 120 millions de spectateurs en 1975 (dont 70 millions âgées de 14 à 30 ans) soit une moyenne de 14 billets par an et par habitant.

Le prix des places est bas, 0,30 - 0,35 leva, alors que l'on paye 0,80 à 1,50 pour le théâtre et 1 à 2 leva pour le concert. Rappelons que le salaire moyen est de 150 à 200 leva par mois.

Le cinéphile bulgare a l'occasion de voir une bonne partie de la production mondiale puisque 175 films étrangers sont importés dont 55 en provenance d'URSS, 75 des autres pays socialistes et 44 de pays de l'Ouest.

Pour l'année 1976, on compte 11 films italiens (dont Amarcord, Bisturi mafia bianca, Zabriskie Point), 6 productions américaines (dont Five Easy Pièces, Mackena's Gold, Profession Reporter) et 5 films français (dont L'Horloger de Saint-Paul, Verdict, Le Retour du Grand Blond). On fait également une place à des productions de petites cinématographies comme l'Afghanistan, la Syrie, l'Egypte, l'Iran ou la Bolivie.

De son côté, la Cinémathèque qui possède 4 000 films et 2 500 bandes d'actualités organise 28 séances par semaine à Sofia, et bientôt à Plovdiv. Elle met sur pieds quinze fois par an des rétrospectives dans les principales villes du pays.

L'écranisation de plus en plus fréquente des problèmes non encore résolus dans une société socialiste prouve le degré de maturité des cinéastes de la première génération, mais également des quelque vingt nouveaux venus depuis 1970. Si l'on voulait permettre à tous les cinéastes de tourner un film par an, il faudrait augmenter la production à plus de quarante films.

Et si le cinéma de Sofia donne déjà des choses à penser à ses spectateurs, il lui reste encore, puisqu'il a commencé par changer le monde, à changer le discours du monde.

KURZE GESCHICHTE DES BULGARISCHEN FILMS

Jean-Pierre Brossard gibt einen Oberblick über die Entwicklung des bulgarischen Films bis Ende der sechziger Jahre und nennt einige der wichtigsten Regisseure und Titel. Er berichtet über die Organisation der bulgarischen Kinematographie in drei Kollektiven, Hemus, Mladost (Jugend) und Sredetz, zu denen 1976 mit Savremennic (Zeitgenosse) ein viertes gestossen ist. Abschliessend nennt er einige der erstaunlich hohen Zuschauerzahlen, die die bulgarischen Filme in ihrem eigenen Land erreichen. (meg)

Jean-pierre Brossard
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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