CLAUDE VALLON

DÉBUTANTS DANS LE CINÉMA YOUGOSLAVE: VERS AUTRE CHOSE

ESSAY

Nous retiendrons dans ce chapitre les noms de quelques-uns des débutants dans le cinéma yougoslave. Notre intérêt est souvent dicté par les circonstances. Il faudrait en effet prolonger ses voyages en Yougoslavie pour faire le tour du problème. On prendra donc garde au fait qu’il s’agit d’une liste indicative et non exhaustive.

RAJKO GRLIC a collaboré avec Srdran Karanovic à l’écriture du scénario de Drustvena Igra (Jeu de société) alors que le même Sdran Karanovic est l’un des co-scénaristes de Coûte que coûte (Kud Puklo da Puklo) présenté à Pula en 1974 et produit par Jadran Film et Croatia Film.

Les préparatifs pour ce film-là ont duré deux ans et demi. L’équipe a enquêté auprès de deux mille personnes, récolté cinq heures de matériel préparatoire, lu plus de mille lettres, écrit six versions du scénario et mis plus d’un an à choisir les lieux de tournage.

Un jeune travailleur de vingt-cinq ans abandonne son travail pour sortir du train-train quotidien. Une équipe de film le suit dans ses pérégrinatons. Une étudiante de famille riche, Jagoda, l’accompagne. Traités comme des héros ils obtiennent tout ce qu’ils désirent sauf le bonheur d’être seuls et de n’appartenir qu’à eux-mêmes. D’où une série innombrable de conflits et leur désir de trouver une issue, mais laquelle?,..

Le subterfuge consiste ici à marier réalité et fiction, si intimement qu’on ne sait s’il est question de réalité quand il y a fiction ou le contraire. Le film pose ainsi à travers un médium la question de l’identité de l’individu, constamment obligé à se situer à la hauteur des héros qu’on lui impose malgré lui et finalement complètement piégé.

Des préoccupations semblables se trouvaient déjà présentes dans Jeu de société de Karanovic (voir plus loin).

MILAN JELIC a tourné en noir et blanc avec Bubasinter (1972), production Film Danas Belgrade, l’histoire de l’initiation d’un jeune homme à la vie sexuelle. Milan qui devrait supporter l’autorité paternelle toute sa vie et se ranger dans la tradition de l’ouvrier tranquille, met de la mauvaise volonté à obéir. Son père croit qu’une leçon de sexologie offerte par une femme experte va tout arranger. C’est une tant qui trouvant dans le jeu, une raison de se revaloriser va finalement rappeler le jeune homme à la conscience de sa virilité. Les «grilles de la vie» sont ouvertes, qu’est-ce que Milan va en faire? sortira-Ml de l’univers de ses bandes dessinées? Le ton est gras, la réalisation riche de touches naïves. Dans l’univers socialiste, la sexualité peut être aussi un problème!...

MISA RADIVJEVIC est l’auteur de Film sans parole (Film bez Reci), production Bosna Film Sarajevo. Le film est une expérience en soi: en trente séquences un jeune homme revit sa vie. Un héros commun, un homme de notre temps qui subit les pressions sociales et qui agonise...

RAJKO RANFL est l’auteur du scénario et de la mise en scène du Vent printanier (Pomladni Veter), production Viab Film Ljubljana. Cette comédie se déroule dans une Cité Universitaire et à l’Académie des Beaux-Arts. Un étudiant en peinture s’éprend d’un modèle qu’il pense conquérir en un tour de main. Il lui faudra déployer beaucoup plus de ruses qu’il ne le souhaitait pour venir à bout de son entreprise et surmonter les railleries de ses camarades. Un ton qui fait penser au cinéma tchécoslovaque: léger, anodin en apparence, mais révélateur de l’attitude soicale de la nouvelle génération.

NIKOLA STOJ ANOVIC a tourné Poussière de pollen (Polenov Prah) production Bosna Film Sarajevo, projeté à Pula en 1974. Un satgiaire journaliste aboutit dans une petite ville où il subit les pressions des roilieux influents. Mais comme il a de l’arnbiton, il essaie de naviguer entre ses amis d’occasion. Une aventure amoureuse avec la femme d’un de ses hôtes l’oblige à résoudre son propre cas; il mène en effet une autre liaison et se trouve tiraillé entre deux femmes.

La thématique est très traditionnelle, l’intérêt se situant plutôt dans la manière de traiter le sujet...

KOROLJ VIYCEK a réalisé Un pays négligé (Par-log), production Neoplanta Film Novi Sad et Centar FRZ Belgrade. Il s’agit une fois encore du conflit des générations en rapport avec l’attachement à la terre, ici la Vojvodina. Le père continue à s’occuper du sol. Le fils, lui, est parti pour la ville et son retour temporaire est l’occasion d’une grande interrogation: qui continuera le travail du sol? La continuité, découvre-t-il, c’est justement cette activité inlassable, ce courage dans l’obstination... Il n’y a pas d’autre issue...

Vivek réussit à donner une épaisseur à son récit, en rendant présents l’espace et le temps. L’environnement est comme exalté: il est vu à travers les yeux du personnage principal. Le spectateur est captif tout à coup d’un monde différent dont il semble que dépend la destinée de l’homme.

LORDRAN ZAFRANOVIC est né à Maslinica près de Split en 1944. Il a été l’élève de Klos à l’Académie du cinéma de Prague (nombreux sont les débutants yougoslaves qui ont passé par cette école; on en ressent l’influence à travers toute une série de films qui sont autant de «tranches de vie», de «tableaux sociaux», à la fois impressionnistes et expressionnistes, mais évitant à tout prix de passer pour autre chose que des «regards» sur la vie). Il a réalisé son premier film pour le Ciné-club (amateur) de Split Dimanche I en 1961. Ont suivi toute une série de courts et moyens métrages. Il a tourné ensuite une série de courts métrages pour Zagreb Film avant de réaliser son premier long métrage de fiction en 1968 (Dimanche II) puis d’autres courts métrages et en 1973 La Chronique d’un meurtre.

Ce dernier film dont il a ‘écrit le scénario traite d’une sorte de rédemption d’un criminel (ou de psychanalyse si l’on veut rester au stade clinique) par l’amour. En vivant auprès d’une femme, le «héros» parvient à exhumer toutes ses inhibitions et à se découvrir une raison d’être. Et cela en accord avec la nature. L’homme ne saurait se laisser dévorer par un passé, fût-il exécrable. Il possède, pour autant qu’il sache le vouloir, la force de se dépasser et de se libérer. Il y a derrière l’anecdote comme un message universel.

SRDRAN KARANOVIC est l’auteur de Jeu de société (Drustvena Igra), de divers films de télévision et il est le co-scénariste de Coûte que coûte de Grlic.

Jeu de société, production Film Danas Belgrade, s’est fait de manière tout à fait originale à partir d’une annonce parue dans les journaux yougoslaves en 1972, où l’on invitait les gens qui voulaient faire du cinéma à dire leurs goûts. Une sélection permit de grouper les suggestions les plus intéressantes et les participants furent conviés à jouer le rôle qu’ils souhaitaient sous la direction du réalisateur, non sans qu’une esquisse de scénario ait été établie.

S’inspirant d’un thème de Novalis, «Le monde devient un rêve et un rêve devient le monde», Karanovic construit un «film naïf» basé sur l’interaction de l’auteur sur les acteurs et inversement. Il s’agit de trouver une forme de travail spontanée à l’abri des contraintes, bénéficiant de la collaboration de tous les protagonistes. Cinéma sur le cinéma: 1 y a là toute une approche nouvelle qui pourrait engendrer des formes différentes de celles qu’exige la dramaturgie traditionnelle. On comprend la séduction que pouvait exercer une pareille aventure. Le pari fut tenu, le résultat est intéressant, peut-être pas aussi «révolutionnaire» que l’ambition l’aurait voulu. Mais un tel renouveau dans la production demande des essais et... une continuité. Karanovic en 1973 était dans la plus grande perplexité quant à l’avenir, faute d’argent...

Interview de Srdran Karanovic

K.: Quand on parle concrètement du film comme d’un médium artistique, on entend qu’il permet la réalisation d’idées déjà programmées et arrangées, alors qu’elles naissent de la vie elle-même. Filmer pour moi, ça veut dire vivre. Je conçois le scénario uniquement comme un déclencheur de jeu, c’est-à-dire comme un livret d’opéra. Pour cette raison je ne sais jamais ce que va donner le plan suivant. Le jeu est improvisé sur place. Rajko Grlic et moi-même sommes d’accord sur cette façon de travailler.

Q.: Le spectateur doit donc reconstituer de lui-même le film?

K.: Brecht a parlé une fois de la décadence du théâtre. Mais le sport lui n’est jamais confronté à la même notion, parce que les spectateurs qui assistent à une manifestation en connaissent les règles et viennent uniquement voir comment cela se passe. C’est la même chose dans le film. Ce qui est important ce ne sont pas les règles, mais ce qui est apporté par le jeu. Une nouvelle forme trouve toujours un nouveau contenu.

Q.: Etes-vous influencé par certaine école tchèque?

K.: L’influence du film tchécoslovaque existe. C’est en effet une question importante de se demander jusqu’à quel point on est influencé par lui et par la culture tchécoslovaque. J’ai fait mes études à l’Académie du film de Prague et j’ai pu prendre connaissance du haut niveau de culture de ce peuple slave. A la fin de Jeu de société, j’ai consacré quelques plans à des références à des œuvres que j’apprécie énormément: Forman, Menzel, Fellini, Truffaut, Godard, Rohmer, Ozu.

Q.: Est-ce que votre film est une suite à vos travaux pour la télévision?

K.: L’idée du film a été offerte à la télévision qui ne s’y est pas intéressé. Je considère que Jeu de société est un pas en avant par rapport à toutes les émissions documentaires que j’ai faites parce qu’il entre dans la sphère de l’imagination. Toutefois il existe une continuité entre eux. Personnellement je ne vois pas de frontière entre le film et la télévision.

Q.: Votre opinion sur la jeune génération de cinéastes yougoslaves?

K.: Je considère que le jeune film yougoslave est exceptionnellement vital, qu’il est très riche d’idées et de formes. qu’il a son diapason, et qu’il peut rivaliser avec les autres jeunes cinématographies dans le monde. Voyez-vous une différence d’approche entre Cenevski, Zilnik, Radivojevic, Stojanovic, Jelic, Ranfl, Jowanovic, Grlic, Zafranovic, Radie et moi-même? On travaille tous sur des choses particulières. mais on se comprend les uns les autres parfaitement. Tous souhaitent créer une cinémiatographie vivante. Je pense que c’est un avantage par rapport à la génération précédente dont le répertoire et les possibilités recouvraient un domaine très étroit et qui défendaient une façon de voir peu tolérante. Il me paraît que le temps travaille beaucoup pour nous-même si la crainte rend les conditions de réalisation particulièrement difficiles.

Q.: Vos projets?

K.: En dehors du film de tv je suis intéressé par le théâtre.

(Adapté d’une interview à «Sineast», no 19)

Tomislav RADIC a réalisé La vérité pure (Ziva Istina), production FAS, filmski autorski studio Zagreb et Timon, production Jadran Film Zagreb.

Le premier montre diverses scènes de la vie d’une femme de trente ans qui n’a pas réussi comme actrice et qui essaie de changer d’existence, alors que le second, toujours dans (e cadre du théâtre montre la déchéance d’un acteur qui n’arrive pas à dominer son succès et se laisse ronger par les sarcasmes et les envies de son entourage. La difficulté de vivre ou de parvenir à vivre avec une vocation débouche sur une tragédie qui est semblable à celles qui se jouent au théâtre. Il y a comme une identification entre le jeu social et le jeu théâtral. Peut-être par le fait que culturellement nous sommes marqués par une certaine façon d’appréhender les choses dont nous ne parvenons pas à nous désaisir. Sur ce thème shakespearien le monde est un théâtre et le théâtre est le monde, on peut imaginer des développements, puisqu’il s’agit là, à n’en pas douter de l’un des grands sujets de réflexion de la dramaturgie contemporaine.

Interview de Tomislav Radic

Q.: Votre film La Vérité nue ne faisait pas partie de la sélection officielle au Festival de Pula de 1972?

R.: Je suis très satisfait que les gens qui ont vu le film et qui l’ont apprécié aient protesté contre cette décision. Il me semble illogique que des gens incompétents décident de la destinée d’un film.

Q.: Parlez-nous de vos autres activités.

R.: Depuis sept ans, je travaille comme professionnel dans le théâtre. J’ai obtenu un premier prix au festival de théâtre expérimental de Sarajevo pour la mise en scène des Exercices de style de Raymond Queneau, réalisés pour une compagnie de Zagreb. L’expérience dans le film je l’ai faite en réalisant des émissions documentaires pour la télévision de Zagreb (dans une série intitulée Visages).

Q.: Quelles étaient vos intentions en abordant le film?

R.: J’adore le cinéma depuis toujours. Je passe mon temps à voir des films à la cinémathèque. L’envie d’y travailler comme au théâtre me préoccupait depuis longtemps. Ces deux média m’attirent au même titre...

Q.: Quelle différence faites-vous entre le théâtre et le cinéma?

R.: Le théâtre c’est une description de formes, c’est un art de la stylisation, tandis que le cinéma est la seule et unique possibilité de se manifester comme auteur. Dans un film je peux m’exprimer jusqu’à la fin de l’œuvre. Pour mieux vous expliquer, dans le cinéma je suis content d’être présent de bout en bout de l’œuvre, au théâtre, le metteur en scène transmet des idées, ce sont les acteurs qui assurent une présence, construisent et reconstruisent d’après la trace que j’ai laissée.

Q.: Vous avez tourné en 16 mm puis gonflé le film en 35?

R.: C’est la conception du sujet qui l’a exigé. Les objectifs que l’on utilise avec le 16 sont différents de ceux du 35 et il me fallait une certaine qualité d’image. Timon est en 35 mm.

Q.: Quels sont vos maîtres?

R.: Personnellement j’adore Bergman, Fellini. Parmi les écrivains Camus, Pirandello et Shakespeare...

(Adaptation d’une interview de «Sineast», no 19)

JUGOSLAWISCHE JUNGFILMER

Die folgende Liste enthält einige Beispiele und ist keineswegs erschöpfend.

Rajko Grlic schuf den Film Koste es, was es wolle (Mitautor: Karanovic). Ein junger Arbeiter und eine Studentin aus reicher Familie geben den Alltag auf und flüchten sich in eine Mischung von Wahrheit und Dichtung.

Milan Jelic zeigt in Bubasinter in der Einweihung eines Jünglings in sexuelle Probleme, dass diese auch in der sozialistischen Gesellschaft ein Problem darstellen.

Misa Radivjevic lässt im Film ohne Worte einen Jüngling in 30 Sequenzen auf sein Leben zurückblicken.

Rajko Ranfl schuf mit Frühlingswind eine beschwingte Studentenkomödie.

Nikola Stojanovic schickt in Blütenstaub einen Journalistenvolontär in ein Dorf, wo er lokalpolitische und Liebesabenteuer zu bestehen hat.

Karolj Vicek hat mit Ein vernachlässigtes Land das Generationen- und Landfluchproblem aufgegriffen.

Lordan Zafranovic kommt wie viele andere aus der Filmakademie Prag; er behandelt in der Chronik eines Mordes die Erlösung eines Verbrechers durch Liebe.

Srdran Karanovic schuf mit Spiel der Gesellschaft nach einem Novalis-Thema einen Film über Film, der von Aktion und Interaktion (Improvisation) von Autor und Darstellern lebt, in einem Interview sagt Karanovic denn auch, dass Filmen für ihn Leben bedeute.

Tonsilav Radle zeigt in Die reine Wahrheit die Wandlungsversuche einer erfolglosen Schauspielerin und in Timon den Verfall eines erfolgreichen Schauspielers. (jb)

Claude Vallon
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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