MARCEL SCHÜPBACH

HISTOIRE DE FICTION

CH-FENSTER

Les longs metrages romands en dehors du «Groupe 5»

En Suisse romande, les véritables débuts d’un cinéma de fiction remontent à 1966. Depuis cette date, un rapide tour d’horizon des longs métrages produits fait apparaître en neuf ans un total de trente-six films; et il doit y en avoir eu d’autres, restés inconnus, sans compter les quelques productions «maison» de la télévision de Genève (comme Jean-Luc persécuté, Le Garçon savoyard, Vivre ici, Le Fusil de Chasse, Le Jour des Noces, Procès aux Heureux). Une fois soustraites les quinze réalisations des membres du Groupe 5, on compte encore vingt-et-un longs métrages; ce qui représente presqu’autant de premières œuvres, donc de cinéastes. Car tourner un film aujourd’hui signifie toujours aller au devant d’une aventure qui risque d’être sans lendemain.

Mais parler de la fiction romande en dehors du Groupe 5 sans même mentionner Claude Goretta, Jean-Louis Roy, Michel Soutter et Alain Tanner n’aurait pas de sens. L’évolution de chacun d’entre eux a été déterminante pour le reste de la production. C’est en fonction du Groupe 5 que les autres films se sont définis; c’est en tout cas grâce à son succès qu’ils ont été rendus possibles par la suite. Les ouvrages des membres du Groupe 5 ont donc fondé l’essentiel, le tronc de l’arbre; les autres réalisations, avec moins de cohésion, ont formé des rameaux plus ou moins feuillus.

En plus du Groupe 5, un autre élément s’est révélé décisif pour la production: l’aide de l’Etat. Jusqu’en 1970, la Confédération n’accordait de soutien financier qu’aux films terminés; depuis, le principe d’une contribution à la réalisation, intervenant après lecture du soénario, a été admis. Deux facteurs, liés au mode de production, déterminent donc deux étapes distinctes dans l’évolution de la fiction romande:

– de 1966 à 1970, la Confédération accorde des primes à la qualité; le Groupe 5 n’a pas encore accédé à la notoriété,

– de 1970 à 1974, la Confédération prend en charge certains coûts de production; la renommée du Groupe 5 dépasse nos frontières.

Avant

En Suisse alémanique, les œuvres de Leopold Lindtberg, Franz Schnyder et Knurt Früh ont profondément marqué le cinéma de fiction; d’où, par la suite, le développement nécessaire d’une vague de réaction à tous les niveaux de la profession. En Suisse romande, en 1966, il n’existe aucune tradition de cette sorte, si bien que les infrastructures de production et les techniciens manquent. Dès lors — et c’est paradoxalement la grande chance du cinéma romand — il s’agit de créer un langage de toutes pièces, en dehors des contingences du commerce; le domaine se trouve ainsi strictement réservé aux auteurs entêtés.

C’est du côté de la télévision, réservoir de matériel et d’amis techniciens, qu’apparaissent les premières tentatives. Jean-Louis Roy tourne L’Inconnu de Shandigor (1966), Michel Soutter La Lune avec les Dents (1967). A côté d’eux, le désert, ou presque. Pour qu’un autre film voie le jour, il faut la réunion de quatre cinéastes indépendants (Claude Champion, Francis Reusser, Jaques Sandoz, Yves Yersin) et d’un critique devenu producteur (Freddy Landry — Milos-Films). A la veille du tournage, le groupe déclare: «une analyse de la situation économique suisse sur le plan cinématographique, le désir absolu de sortir du ghetto du court métrage pour réaliser un long métrage capable de rencontrer son public sur les écrans nous conduisent à faire certains choix précis, qui tiennent compte des possibilités de chacun: le film se composera de quatre courts métrages sur un thème choisi en commun; il sera tourné en 16 mm. avec un budget limité et tentera de refléter avec fidélité la situation de la société romande à un moment précis; chaque auteur produira son propre sketch, Milos se chargeant du gonflage en 35 mm. et des autres dépenses communes.» La définition des limites, l’accord des moyens au propos assurent le succès du film. Quatre d’entre elles (1966-1968) sort dans les salles commerciales suisses, est vendu à plusieurs chaînes de télévision étrangères et obtient une prime fédérale. L’argent investi se trouve ainsi remboursé.

Alors que Michel Soutter poursuit des essais confidentiels (bien malgré lui) et met au point son univers personnel, Milos-Films, continuant sur sa lancée, prend part à L’Œil bleu (1968) de Jaques Sandoz, puis produit entièrement un long métrage en couleurs; c’est Vive la Mort (1968-1969) de Francis Reusser, un itinéraire agressif et désanchanté à travers les clichés helvétiques; le film engloutit beaucoup d’argent; l’échec à la distribution est total. Dès lors, on ne retrouve la firme des Verrières qu’au générique d’un film à budget réduit, L’Hypothèque (1970) de Frédéric Gonseth.

Auparavant, Gonseth avait tourné en amateur, à l’âge de dix-huit ans, Somnifia (1968), un film qui détient tous les records de financement minimum: une heure quarante-cinq pour trois mille cinq cents francs! Puis il avait participé à Lausanne au groupe Cinéma marginal animé, entre autres, par Marcel Leiser, l’auteur de Nathalie Ciné-Roman (1969-1970). Fondé en 1969 pour favoriser la diffusion des films — en majeure partie des courts métrages — de très jeunes cinéastes romands, le groupe disposait aussi d’un certain matériel technique.

A part le Groupe 5, Milos-Films et Cinéma marginal, qui représentent exactement trois générations (40, 30 et 20 ans) de cinéastes, il n’existe alors rien d’organisé. Pour la petite histoire, on peut signaler quelques tentatives isolées sans grand rapport avec le mouvement général du cinéma suisse romand: Le Président de Viouc»(1967) de Roland Minier et Marcel Bonvin, un film valaisan folklorique; Situations provisoires (1968), une expérience du théâtre universitaire de Lausanne sous la direction d’Alain Knapp; Malcolm (1968) de François Gerber, une timide incursion dans l’aventure erotique; Les vieilles Lunes (1968-1969) de Jean-Daniel Fahri, où l’on peut voir Anne Wiazemsky avant que chez Tanner et von Gunten.

Bref, avant 1970, l’existence du cinéma romand est plus que précaire. Les films se tournent avec des budgets microscopiques, sans garantie de production ni, bien sûr, de diffusion. Seule une prime fédérale parvient parfois â rétablir l’équilibre financier. Côté distribution, les films font encore sourire et le lancement auprès du public nécessite des efforts redoublés. Exceptés L’Inconnu de Shandigor et Quatre d’entre elles, tous les longs métrages cités plus haut en sont réduits à prendre le frais dans leurs boîtes métalliques.

On en est là lorsque le Groupe 5 est constitué. C’est l’occasion tant attendue pour quatre auteurs de travailler dans de meilleures conditions financières et techniques; les risques courus sont diminués de moitié, chaque film étant pré-acheté et assuré d’une diffusion par la télévision. Un style commun, dû principalement au même mode de production, donne au mouvement une grande cohésion. Trois des films obtiennent une prime à la qualité et l’un d’entre eux, Charles mort ou vif (1968-1969), connaît une carrière internationale. En Suisse, la diffusion du film, menée à bien par Alain Tanner lui-même, ouvre une brèche décisive. Le cinéma suisse peut être montré à des spectateurs suisses et qui plus est rapporter un peu d’argent à son distributeur.

L’année suivante, les deux premiers lauréats de l’aide à la production allouée par la Confédération, Yves Yersin (Un vieux Riche va mourir) et Jean-Louis Roy (Le Point de Fuite), sont contraints d’abandonner leur projet. Alain Tanner est le troisième bénéficiaire de l’aide fédérale; avec La Salamandre (1970-1971), il réalise un film-charnière dont le succès assure au cinéma romand tout entier le passage de la confidence à l’expression.

Après

En 1971-1972, pour une deuxième série de trois films, le Groupe 5 ouvre la voie aux coproductions avec la France. A Genève, Citel-Films met désormais une infrastructure solide au service des gros budgets. Grâce à la formation progressive de techniciens de cinéma et aux nouveaux appuis financiers, la qualité de facture des réalisations se trouve considérablement améliorée.

Evidemment, le succès des uns, conquis à force de ténacité, se met à profiter à d’autres. Mais la modestie n’est pas au rendez-vous et deux grosses coproductions avec la France, soutenues en plus par la Confédération, sont des échecs artistiques et commerciaux. La Sainte Famille (1972) de Pierre Koralnik et La Fille au Violoncelle (1972) d’Yvan Butler ne connaissent aucune disrtibution en Suisse.

Du côté de la télévision romande, d’autres réalisateurs se sentent soudain démangés par le septième art. Gilbert Bovay tourne Jennifer (1972), Christian Mottier Smog (1973). Les deux films prouvent au moins qu’il ne suffit pas d’avoir fait ses classes de téléaste, à l’instar du Groupe 5, pour devenir un cinéaste de talent.

En marge du courant de la production romande, Henry Rappaz (L’Aube ne s’est pas encore levée, 1971) et Marc Michel (Fleurs de Pierre, 1973) tentent sans succès la fabrication en série de belles images en couleurs; mais l’inspiration stagne au ras du sol et, dans ces deux produits frelatés, la naïveté n’a d’égal que la prétention. Toujours en marge, Claude Kuonen, un cinéaste amateur habitué des films de commande, met en scène Le Cri de la Garenne (1973), un long métrage interprété par des enfants et financé par un riche mécène. A un niveau supérieur, Ernest Ansorge a réuni ses économies pour tourner D’un Jour à l’autre (1972), où il se trouve d’ailleurs moins à l’aise que dans l’arnmation.

C’est en 1973 seulement qu’apparaît une relève prometteuse; trois indépendants écrivent et réalisent leur premier film dans des conditions difficiles. Ils ont compris l’essen-tiel, de savoir que la personnalité et la sincérité sont encore les meilleurs atouts du cinéma romand. Les vilaines Manières de Simon Edelstein, Le troisième Cri d’Igaal Niddam et Erica minor de Bertrand van Effenterre représentent les meilleures œuvres «post Groupe 5» et trouvent progressivement leur public; mais leurs auteurs pourront-ils mener à bien un nouveau projet 7

L’avenir n’est guère rose. En 1974, seuls Alain Tanner (Le Milieu du Monde) et Claude Goretta (Pas si méchant que ça) ont tourné. Pour les auteurs — passé ou à venir — de premières œuvres, un long métrage engage totalement; les débuts maladroits ne sont plus tolérés; le film doit être compétitif; en neuf ans, les exigences de qualité et de rentabilité ont grimpé en flèche.

Au niveau de l’aide fédérale, il est bien clair qu’avant toute chose la continuité doit être assurée aux cinéastes reconnus du septième art helvétique; mais ensuite, les mauvaises expériences faites avec Yvan Butler et Pierre Koralnik montrent que la Confédération aurait avantage à diversifier son soutien, à encourager des premières ou deuxièmes ceuvres à budgets plus modestes. Cela, dans Fespoir d’«aerer un peu je contexte»...

DER WESTSCHWEIZERISCHE LANGSPIELFILM AUSSERHALB DES GROUPE 5

Der Beginn des Langspielfilmes in der Westschweiz datiert aus dem Jahr 1966 mit den zwei vom Genfer Fernsehen ermöglichten Produktionen L’inconnu de Shandigor (Jean-Louis Roy) und La Lune avec les Dents (Michel Soutter).

Die Gründung von Milos-Films, des Cinema Marginal und der Zusammenschluss von Tanner, Roy, Goretta und Soutter zum Groupe 5 ermöglichte weitere Produktionen, wobei allerdings nur der letzteren Gruppierung voller Erfolg beschieden war. Dieser Durchbruch des Groupe 5 war es auch, der die eigentliche Basis für ein eigentliches westschweizerisches Langspielfilm-Schaffen schuf. Dazu war aber auch die 1969 einsetzende finanzielle Hilfe des Bundes von entscheidender Bedeutung. Mussten vor 1970 alle Filme ausserhalb des Groupe 5 mit einem Mini-Budget und ohne jegliche Garantie für Produktionskosten und Verleih (ausser einer möglichen Bundeshilfe) produziert werden, so konnte in den folgenden Jahren eine Anzahl Werke dank der Übernahme eines Teils der Produktionskosten durch den Bund realisiert werden.

Ausser Quatre d’entre elles (1966-68: Champion, Sandoz, Reusser, Yersin), welcher wenigstens die Produktionskosten wieder einspielte, blieben die restlichen Filme ohne Erfolg, teils durch zu hoch gesteckte Ambitionen, teils durch die Indifferenz des Publikums (Vive la Mort von Reusser) oder wegen des fehlenden Verleihs in der Schweiz.

Erst 1973 Hessen drei erfolgsversprechende Produktionen aufhorchen, die allerdings nur unter äusserst schwierigen Umständen zustande kamen: Edelstein (Les Vilaines Manières), Niddam Le troisième Cri) und van Effenterre (Erica Minor) scheinen begriffen zu haben, dass Persönlichkeit und Ehrlichkeit immer noch die beste Garantie für ein künstlerisches Gelingen bleiben.

Die Zukunft sieh nicht rosig aus. Ausser Tanner (Le Milieu du Monde) und Goretta (Pas si méchant que ça) sind keine weiteren Produktionen beendet. Die unbeholfenen Anfängerfilme werden nicht mehr toleriert; in neun Jahren sind die Qualitäts- und Rentabilitätsansprüche ständig gestiegen.

Es ist klar, dass die finanzielle Hilfe des Bundes eine Weiterarbeit der arrivierten Filmschaffenden garantieren muss. Es wäre aber auch nicht unwichtig, aus den gemachten Erfahrungen (Koralnik und Butler) Lehren zu ziehen, die Unterstützungen gezielter zu gewähren und Erstlingswerke mit kleinem Budget zu unterstützen. (r. k.)

Marcel Schüpbach
Keine Kurzbio vorhanden.
(Stand: 2020)
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