MARCEL SCHÜPBACH

PARDON AUGUSTE — ENTRETIEN AVEC MICHEL SOUTTER

CH-FENSTER

Mitte Februar 1974 wird in Paris der sechste Spielfilm von Michel Soutter uraufgeführt. Pardon Auguste* wurde in Genf und im Waadtländer Jura (Les Rasses) gedreht. Thematik und Anekdote dieses Films führen bereits Bekanntes weiter. Eine Handvoll Männer und Frauen versuchen, in Begegnungen ihrer Einsamkeit zu entfliehen. «Eine melancholische Komödie, in der die Figuren damit beschäftigt sind, das Leben zu finden, durch das Leben oder durch die Arbeit. Zwischen ihnen stehen natürlich alle die andern.» Michel Soutter hat in diesem Film vor allem an diese anderen gedacht; die Personen von Pardon Auguste sind weniger isoliert als die Personen der früheren Filme. Marie Dubois, Antoinette Moya, George Wod, Philippe Clévenod und Jean-Louis Trintignant spielen die Hauptrollen; einmal mehr zeichnet Simon Edelstein für das Bild verantwortlich. Marcel Schüpbach hat zwischen seiner Mitarbeit an Jean-François Amiguets Prolongation und den Dreharbeiten für seinen eigenen Film, Claire au pays du silence, als Regieassistent Soutters gearbeitet. Dabei ist auch das nachstehende Interview entstanden.

Milieu février, le sixième film de Michel Soutter sortira à Paris. Pardon Auguste a été tourné à Genève et au jura vaudois (Les Rasses). La thématique et l'histoire reprennent les éléments connus du monde soutterien. Quelques hommes et femmes essayent, par des rencontres, d'échapper à leur solitude. «Une comédie mélancolique où l'on découvre des personnages occupés à la recherche de la vie par la vie ou par le travail. Entre eux, il y a naturellement tous les autres.» Dans ce film, Michel Soutter a particulièrement pensé à ces «autres»; les personnages de Pardon Auguste sont moins isolés que les personnages de ses films précédents. Marie Dubois, Antoinette Moya, Georges Wod, Philippe Cléve-not et Jean-Louis Trintignant interprètent les rôles principaux; Simon Edelstein est une fois de plus responsable pour l'image. Entre sa collaboration au film de Jean-François Ami-guet Prolongation et le tournage de son propre nouveau film Claire au pays du silence, Marcel Schùpbach était l'assistant réalisateur de Soutter. Il a réalisé l'interview suivante à ce moment-là.

Fin octobre, dans le calme d'une campagne genevoise jaunissante, Michel Soutter a achevé le tournage d'un sixième long métrage, provisoirement intitulé Pardon Auguste. L'anecdote? On sait qu'elle ne donne jamais, chez l'auteur des Arpenteurs, la clé du film. Cinq personnages, Anne (Marie Dubois), Virginie (Antoinette Moya), Paul (Philippe Clévenot), Auguste (Georges Wod) et Ferdinand (Jean-Louis Trintignant) se rencontrent au gré d'un hasard longuement préparé. Des couples se déforment, se forment et se reforment. On se découvre, on s'aime dans l'instant et on revient sur terre. Entre Genève et Les Rasses, les chasses-croisés des sentiments révèlent dans le jeu, sans avoir l'air d'y toucher, la saveur du moment et la gravité de l'humour.

Le réchauffement du jeu

— Je considère Les Arpenteurs, ton cinquième film, comme une sorte d'achèvement; tout y glisse merveilleusement bien. Dès lors, comment as-tu envisagé le film suivant?

— J'ai eu l'impression qu'une certaine manière d'écrire des scénarios sous forme de jeu ne pouvait plus durer. Je ne jouais pas à écrire, mais les rapports entre les personnages étaient basés sur le jeu. Si je ne voulais pas m'arrêter à ce type de comportement ludique, il y avait alors, dans ma vie comme pour mes personnages, un pas important à franchir. Tout en gardant certains éléments de jeu qui font le charme du travail, mon objectif était de porter mon effort sur un accrochage plus authentique entre les personnages, d'établir un contact plus chaud et plus vrai, d'ancrer plus mon anecdote dans la réalité pour donner au public des points de repères par rapport à sa propre vie.

— Pour cette raison, c'est un couple marié qui est au centre du film; auparavant, il s'agissait plutôt de rencontres...

— Oui, c'étaient des rencontres de hasard; tandis que maintenant, il y a un couple marié, Anne et Paul, donc ce n'est pas le résultat du hasard, et un couple non marié, Auguste et Virginie, mais qui n'est pas le fruit du hasard non plus; leur habitude de vie commune est plus grande encore que celle du couple marié. Et puis il y a Ferdinand; il représente le hasard et se double d'amitié, c'est-à-dire qu'il n'intervient pas comme ça, isolé et parachuté, mais seulement parce que des liens purement amicaux l'unissent à Virginie. Tous les personnages sont ainsi plus liées entre eux et j'ai essayé d'écrire et de diriger les comédiens de manière à ce que ce lien soit sensible. Tout est beaucoup plus physique, tout est dit beaucoup plus clairement. Auparavant le jeu était vrai, mais il cachait certaines choses; aujourd'hui, j'aimerais que le jeu soit simplement parallèle au comportement des personnages. Mon but est de faire apparaître plus de sincérité avec tout ce que cela comporte de dangereux et de personnel.

Le haut et le bas

— C'est aussi la première fois que tu tournes une partie d'un film hors de Genève...

— Je suis sorti de Genève, mais je ne serais jamais parti pour aller dans un endroit que je ne connaissais pas; je n'envisage pas de tourner là où je ne connais pas les gens que je croise en allant travailler. Or, je connais les gens que je rencontre aux Russes; je n'ai pas l'impression d'être étranger, avec un travail étranger, en train d'épater ou d'encombrer. Les gens me connaissent et se disent: «Tiens, Soutter est là pour travailler; pour une fois, ça ne peut pas être mauvais !» Parce que quand je suis là pour écrire, mon travail se remarque moins.

Et puis, il y a le haut (Les Rasses) et le bas (Genève); il se passe des choses comme ça, je ne sais pourquoi du reste. J'ai bien une réponse, mais je ne crois pas au besoin de la révéler. Le rapport vertical m'éclaire personnellement et intérieurement sur le travail que j'entreprends. Faire l'autopsie de cet élément serait justement lui ôter sa véritable fonction. C'est un stimulant un peu secret, que je garde pour moi, une sensation, oui, qui me guide.

Le texte et sa mise en mouvement

— A première vue, le scénario se présente comme une succession de dialogues, comme une pièce de théâtre en somme.

— Cela peut passer pour une liste de dialogues, mais, en réalité, je ne conçois pas le scénario de cette façon. Je crois que le dialogue n'est qu'une partie du film; après viennent les images, les comédiens et les lieux, le tout réalisant le film complet. Donc, le scénario n'est qu'une partie du travail. Les notes de scène ne peuvent rien préciser au niveau de l'écriture, elles ne peuvent rien signifier par rapport au film qui sera fait. Un dialogue, imaginé par celui qui le lit, même si c'est à partir de son imagination et non de la mienne, apporte finalement plus que des notes de scène qui schématiseraient ma pensée et celle du lecteur.

— Mon dialogue est en mouvement; il nécessite une mise en scène en mouvement, qui imprime au film son rythme propre, le tout devant donner une impression d'instantané. Voilà pourquoi un scénario est plus un matériau à utiliser qu'un objet sur lequel on pourrait porter un jugement définitif. Et, en l'écrivant, je sais déjà comment je vais l'utiliser dans la mise en scène; car je ne fais pas un travail sur les répliques ou sur la brillance du texte, mais je base l'écriture sur une imagination des scènes. Pour moi, récriture est donc déjà visualisée, construite dans le texte à partir d'un mouvement d'acteur. Il reste à l'adapter au moment et au décor. La direction d'acteurs vient alors se greffer sur l'idée que j'ai du texte, sur l'idée que l'acteur peut avoir du texte, sur ce que la mise en images peut suggérer à l'équipe technique. Là-dessus, j'introduis encore une dernière chose, la mise au point physique du jeu des comédiens, et je donne des petites stimulations pour obtenir ceci ou cela, ou des explications plus longues si quelque chose ne se fait pas, ou enfin, au contraire, j'emploie d'autres moyens qui peuvent être le silence ou le blocage.

— J'aimerais aller plus loin dans le mécanisme de l'écriture...

— J'invente une histoire; chaque scène doit alors faire progresser intérieurement le récit, c'est-à-dire que pour chaque séquence j'ai une idée fondamentale susceptible de modifier les rapports des personnages. Puis, le dialogue s'écrit parallèlement à cette progression de fond; ensuite, je réduis au minimum les choses à dire, je supprime tout ce qui me paraît littéraire ou superflu; cela va même jusqu'à la ponctuation, qui, dans le cadre d'un scénario, présente plus de danger qu'autre chose; en donnant des indications psychologiques dont il ne faut décider qu'au dernier moment, lorsqu'on se trouve dans le mouvement de la mise en scène, elle peut tout d'un coup empêcher l'acteur de penser librement le texte. La suppression de la ponctuation et des notes de scène évite de se fixer sur un détail, de se figer. Au moment où s'enregistre la scène, il faut savoir se débarrasser de toute préparation importune et s'accorder jusqu'au dernier instant une liberté de correction, de changement, en fonction des lieux, des gens en présence et de la situation tout entière.

— De toute manière, si les intentions sont claires, il ne s'agit plus que de les adapter à la réalité.

— Oui, on ne bifurque pas; simplement, on dit peut-être les choses différemment; chaque jour est nouveau, chaque jour, la situation de travail et la situation personnelle varient.

— Dans ce cas, tu aimerais sûrement tourner un film dans l'ordre chronologique des scènes.

— Ah oui, j'aimerais bien. J'essaie de le faire le plus possible; je sais que tout repose sur une réflexion et sur un texte, mais, en même temps, chaque jour, je me sens libre d'inventer à partir d'une situation nouvelle. Si j'ai tourné des scènes passées, je peux bien sûr en tenir compte dans l'évolution du film et cela peut renforcer ma méthode de travail dans l'instant. De plus, l'acteur n'entre pas forcément le premier jour dans son personnage; c'est peu à peu que sa capacité d'invention progresse, permettant ainsi au réalisateur de le guider avec plus de sûreté.

— Le décor est aussi une des composantes essentielles de la vie intérieure du récit...

— Je l'ai prévu, au même titre que les costumes; mais je n'aime pas donner l'impression que les couleurs ou les objets ont été choisis; ils doivent paraître involontaires, ou alors subtilement volontaires. En réalité, je fais très attention. Je ne pense pas que l'on puisse, en couleurs surtout, travailler au hasard, filmer les gens et les choses tels qu'ils se présentent. En fait, si l'on sent profondément ce que l'on a envie de dire, si le fond du film est transparent, les erreurs de décors ou de costumes doivent apparaître. On enlève alors ce qui sonne faux par rapport au fond du film, il risque de rester ce qui est juste. Dès ce moment-là, la scène est naturelle, semble avoir été réalisée sans effort. Je cherche toujours à donner l'impression que les choses naissent d'elles-mêmes, qu'il n'y a en fait aucune préméditation ni création laborieuse.

Poésie et subversion

— Pourtant, le texte n'est pas du tout naturel.

— Le texte, les dialogues, sont artificiels de A à Z. Je suis souvent étonné lorsque les spectateurs ont l'impression que les acteurs improvisent. C'est la concordance de la mise en scène, du jeu des comédiens et du décor qui redonne finalement un naturel à un objet qui, au départ, était parfaitement artificiel. Cet artifice, c'est aussi la garantie du plaisir que je prends à mon travail.

— C'est là que je voulais en venir. Le texte est artificiel, mais, placé tel qu'il est, il s'impose sans effort. C'est en fait ce qui caractérise ta manière de faire des films, ce qui rend subversif, au niveau des rapports entre les gens, ton mode de cinéma. Tu places des comédiens dans des situations tout à fait quotidiennes et tu leur fais dire des phrases qui ne sont justement pas quotidiennes, mais qui le deviennent par le jeu de la mise en scène, grâce à tout ce qu'il y a autour.

— C'est une de mes optiques. Si je ne fais pas de cinéma ouvertement politique, on peut dire que j'essaie d'introduire la poésie dans le cinéma, non par une voie littéraire, mais d'une manière purement physique. Au cinéma, où les acteurs sont en chair et en os, il est très difficile de rendre la poésie quotidienne. Car la poésie est un artifice, c'est la transposition complète d'une sensibilité individuelle, et il s'agit de la faire passer dans un corps qui est celui du comédien. C'est à travers une certaine forme de mise en scène et de mise en images et je dirais presque de mise en musique que la poésie peut acquérir une fonction quotidienne. Introduire la poésie dans le spectacle de la manière la plus quotidienne, essayer d'élargir le public à cette forme de spectacle, c'est aussi un travail intéressant et qui doit pouvoir rendre service à une société. Dans tous les cas, cela ne peut servir qu'une amélioration des choses. Du moins c'est ce que j'essaie de faire, et je ne peux pas faire autrement. C'est mon tempérament.

— La poésie explique-t-elle aussi les personnages anec-dotiques qui n'ont pas de fonction précise dans le cours du récit?

— Oui, ce sont des personnages poétiques au sens où ils sont aussi prémonitoires. Ils apparaissent dans des scènes incongrues, s'expriment d'une manière loufoque dans leur quotidien personnel, décalé; mais, après coup, ces apparitions révèlent leur importance dans le déroulement de l'histoire. De plus, je n'aimerais pas faire venir un comédien dans le seul but de voir mon action progresser. Même s'il vient pour un seul jour de tournage, le comédien doit avoir une scène pour lui, doit avoir son mot à dire sur le fond du récit et non seulement sur la forme.

Une question de fond

— Pour la première fois avec Pardon Auguste, tu réalises un film en 35 mm et en couleurs. Cette nouvelle technique implique-t-elle aussi une évolution de la mise en scène?

— Je crois que l'évolution se fait toujours sur le fond. Pour l'avoir pratiquée assez longtemps à la télévision, je connais la technique de l'image et du son; je réussis sans trop de difficulté à l'adapter à ce que j'ai envie de dire. C'est surtout cela qui est important, savoir quelle utilisation on va faire de la technique, savoir quel rapport il y aura entre les choses à dire et la manière de les dire. Du moment que, par la pratique, j'ai pu régler cette concordance, le progrès devient uniquement un progrès de fond. C'est-à-dire qu'il faut penser mieux. Si je pense mieux, la mise en scène et la direction d'acteurs progresseront infailliblement. Si je pense moins bien, mon travail risque de se figer. Je ne crois pas qu'il faut chercher plus loin.

Tout est mieux maintenant; avec la professionnalisation des équipes de tournage, les soucis diminuent. Les gens sont satisfaits du matériel et de la manière dont ils peuvent réaliser le film.

* Der Verleihtitel lautet, wie wir in letzter Minute erfahren: L'Escapade; le titre définitif sera L'Escapade.

Marcel Schüpbach
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(Stand: 2020)
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